Is—Land
Édition

Correspondences, Heinz Peter Knes

Rendre compte de la relation complexe entre l’image, le photographe et la société.
Correspondences, Heinz Peter Knes

Is-land Édition

Colorier, saturer ou combler les vides : à l’origine, en ornements de listes et de lettres, ces dessins tournaient autour de l’écriture. Puis ils ont remplacé les listes et les phrases, les mots, et œuvré pour le silence de ma bouche. Ils sont venus renverser un travail déqualifié en lui opposant l’épaisseur de mon temps. À conditions de travail hors contrat, travail hors contrat. Ce que je produisais m’appartenait.
À l’époque, j’avais écrit deux livres et je comptais en écrire d’autres. C’était aussi autour de l’écriture que tournait mon métier. Dans leur mutisme, ces dessins contenaient ma révolte, mes paroles, et tout ce que je n’écrivais pas de poésie puisque je n’écrivais plus que pour me défendre, la forme juridique venant cadrer mon insurrection. Ces dessins avaient pris la place de l’écriture.
Quand j’ai fini par quitter ce travail, j’étais devenue une bouche éruptive. J’avais résisté sans me renier mais je ne voyais plus où trouver la poésie, ni même où la chercher. La violence de ma situation me grillait la langue et je n’écrivais plus un mot. Chercher la poésie n’avait plus aucun sens ; quelle poésie placer dans le dépit et l’injustice, dans la victoire du management sur les individus, du chiffre sur les êtres ? Heureusement, les dessins sont restés : avec la reconstitution d’une vie professionnelle, des listes, des mots sont réapparus, et sur des enveloppes, sur des Post-it, sur des blocs-notes, des agendas ou des journaux qui apportaient à mes journées un peu de langage, j’ai continué à dessiner.
Dans des mots sans enjeu, des bouts de phrase ou certains titres d’articles j’ai lu des échos à ce que je traversais, sans avoir à le formuler : La Chasse au poète, L’intéressé dément, La Grâce de Jacqueline Sauvage ou encore Un nouveau départ. Ces emprunts et concentrés de sens m’ont apporté la distance nécessaire pour circonscrire la douleur, mais aussi mon envie de mettre le feu, de rayer des voitures, de crever des pneus ou de larguer des boules puantes dans des sacs à main ou des carrés de moquette.

Magali Brénon (extrait)
Bonne continuation 

 

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Le livre raconte autant l’évolution d’une histoire d’amour, la construction du désir –ce qu’on donne à l’autre de soi pour qu’il le retienne, pour concentrer son attention – que celle d’un travail que l’on fait à deux, mais d’abord chacun pour soi, au service d’intérêts parfois incommunicables.
CO
Laurence Lorenzi. Jean-Luc Moulène

LAURENCE LORENZI, JEAN-LUC MOULÈNE / LANCEMENT / GALERIE CHANTAL CROUSEL

Lancement du livre Laurence Lorenzi, Jean-Luc Moulène, à la Galerie Chantal Crousel, vendredi 16 décembre 2022 à 18h30.

Rencontre et discussion avec Nathalie Delbard.

Galerie Chantal Crousel
5, rue de Saintonge
75003 Paris

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« Que nous raconte une œuvre d’art ? La vie, bien sûr. On s’y étreint et on s’y aime, beaucoup ; on s’y livre à des sociabilités, à des batailles, à des exploits et des bassesses ; on y souffre et on y meurt, également, sans doute trop. Et puis on y mange, évidemment. »
Thomas Schlesser (extrait)

Lei Saito, Cuisine existentielle

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« Parlons du halo et de la couleur des astres brillants.
Parlons du souffle de la terre et des vents qui sortent des nuages.
Parlons des exhalaisons sèches et des exhalaisons humides.
Parlons de la salinité de la mer et de sa génération.
Parlons des excrétions, des concrétions, des ampholytes, de l’évaporation.
Parlons de la condensation et de la putréfaction.
Parlons des solides liquides, des corps chauds et des corps froids.
Parlons de tout cela.
Remontons aux causes premières, mais non vers les cieux des vérités générales, ou alors au-delà. »
Sally Bonn (extrait)

Cécile Beau, Aoriste

(RE)PRISE DE VUE

par Élisabeth Lebovici (extrait)

[…] Maria Slautina conclut ainsi que Untitled (Face in Dirt) a le statut d’une œuvre de David Wojnarowicz réalisée par lui avec l’aide de Marion Scemama, « choisie » pour prendre l’image, mais qu’il en a seul pris contrôle, responsabilité, et crédit. C’est une œuvre avec un seul auteur, conclut-elle.
Certes. Cela peut être vrai techniquement, juste juridiquement, et avéré au regard de l’histoire de l’art canonique, celle qu’on délivre encore dans les universités et les musées. Mais on ne peut pas complètement renier l’historiographie féministe qui, depuis Linda Nochlin, en 1971, associe l’unicité de l’auteur, son originalité et sa responsabilité à une conception patriarcale de la création, et fait donc l’objet d’une critique radicale. Depuis aussi que Simon Schaffer et Steven Shapin ont écrit leur fameux Léviathan et la pompe à air, montrant que, dans le projet expérimental moderne, une « technologie » sociale est à l’œuvre – l’espace du laboratoire : la « signature matérielle des collaborateurs·trices » –, doit-on souscrire encore complètement à cette version ? Pour prendre un exemple, l’attribution à Claude Cahun de ses autoportraits a été l’objet de vifs débats jusqu’à l’adoption par certains musées et collections d’une double signature : Claude Cahun et Marcel Moore. Parce que la seconde (Suzanne Malherbe, dite Marcel Moore) faisait la photo, réalisait effectivement les autoportraits de la première. Peut-être l’une avait elle toutes les idées ? Peu importe. Il s’agissait d’une collaboration affective, émotionnelle, amoureuse entre deux femmes, Lucie Schwob et Suzanne Malherbe. Elles ont vécu et travaillé ensemble pendant presque quarante ans, jusqu’à la mort de la première. La recon-naissance d’une relation non hétérosexuelle représente ici un pivot. C’est le cas aussi pour David Wojnarowicz et Marion Scemama, dont l’histoire n’est ni hétérosexuelle ni homosexuelle. Probablement, si on la situe en dehors de cette binarité, c’est là que passe cet amour-là (je fais ici référence au livre de Yann Andréa, Cet amour-là. L’histoire d’amour que lui, homme homosexuel, choisit de vivre durant seize ans avec Marguerite Duras).

A Slow Boat to China. 

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« Et, si les supposées sorcières ont tant dérangé, c’est aussi et surtout peut-être parce qu’elles pouvaient apparaître comme des femmes libres et libérées, la sorcière pouvant être la femme qui, par la cheminée, échappe aux mains de son mari, avec son balai, pour s’envoyer – littéralement – en l’air. Et c’est ainsi que la sorcière est devenue la grande figure d’identification féministe, avec son sex-toy interdit et scandaleux, identique, à la fin du xixe et au tournant du xxe siècle, à la selle de vélo, à laquelle on reprochait d’être masturbatoire, et donc mauvaise pour la santé et la morale. »
Anne Dressen (extrait)

 

Sylvie Auvray, Les Cambuses